De l’usage de la monnaie à bord des navires (2/2)

LES EFFETS PERSONNELS DES MEMBRES D’ÉQUIPAGE ET DES PASSAGERS

Par Florence Pruhomme

Pour faire suite à notre article portant sur l’utilisation de la monnaie à bord des navires, Florence Prudhomme vous propose cette fois une plongée, entre autre, dans l’épave du Titanic…

Le Trésor de la Jeanne-Elisabeth

Les fouilles archéologiques sous-marines menées sur le navire de commerce suédois la Jeanne-Elisabeth, coulé en 1755 devant Villeneuve-lès-Maguelone, ont livré une importante collection d’objets liés à la cargaison mais aussi aux biens personnels des marins et passagers du bord.

Les conditions sédimentologiques ont permis la conservation de nombreux mobiliers en matières organiques. Deux d’entre eux, une chaussure en cuir et une bourse d’officier en chanvre, ont fait l’objet d’une restauration, non sans quelques difficultés notamment pour la bourse contenant des objets métalliques[1]. Cette dernière a été retrouvée dans la partie arrière de la coque, zone de vie des officiers, et mesure environ 8 cm de diamètre.

Par souci de préserver l’intégrité de cet objet, la bourse n’a pas été ouverte mais passée sous la technique de la tomographie X, technique relativement proche de celle du scanner médical grâce à laquelle on peut obtenir une image 3D de l’objet scanné. Ainsi le contenu de la bourse contenant 17 monnaies et un sceau a pu être révélé à l’imagerie. Mais en raison des concrétions déposées sur les monnaies, aucune n’était identifiable. Voilà donc un exemple typique de ce qui peut subsister comme effets personnels.

Le trésor de la Jeanne-Elisabeth a récemment fait l’objet d’une publication du Département des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France, dans le série TRÉSORS MONÉTAIRES, volume dirigé par M. Jérôme Jambu.

L’épave du Royal Mail Ship Titanic

Autre exemple ; celui du RMS Titanic, paquebot transatlantique de la White Star Line construit en 1907 à Belfast, ayant sombré le 15 avril 1912 à la suite d’une collision avec un iceberg. L’épave repose à 3821 mètres de profondeur [2] et la difficulté de prélever les objets à une telle profondeur – à l’aide des bras manipulateurs de capsules sous-marines habitées – n’empêche pas la découverte d’objets intacts fragilisés par une longue période passée dans le milieu aquatique[3].

Plus que des objets, ce sont des individus vivant en 1912 qui refont surface, avec leurs préoccupations. En tout plus de 5 500 artefacts furent vendus aux enchères comme par exemple un chérubin de bronze provenant du grand escalier, des services chinois issus des salles de réception ou encore un morceau de la coque de l’épave qui ont été remontés [4]. Parmi les documents sauvés, un menu de la classe supérieure composé de plus de 13 plats (voir photo ci-dessous) a été vendu également aux enchères.

Survivant au naufrage, le passager de première classe Abraham Lincoln Salomon avait conservé ce menu avec lui tandis qu’il avait pu rejoindre le canot de sauvetage n° 1.

A bord du Titanic se trouvait un total de 2 208 passagers dont 817 membres d’équipage. Les passagers étaient répartis selon trois classes en fonction de leur richesse, avec 324 passagers issus de la première classe, 284 de la deuxième et 709 de la dernière classe. Il y aurait 868 rescapés (dont 675 passagers et 193 hommes d’équipage).

Compte tenu du caractère exceptionnel que revêt la traversée inaugurale du Titanic, de nombreux milliardaires se sont joints à cette traversée en embarquant en première classe où l’on retrouve également des médecins, politiciens, industriels et des hommes d’affaires voyageant en compagnie de leur famille et de leur domestique. Tous ces passagers transportaient de l’argent que ce soit sous forme de pièces d’or, de billets dans leur portefeuille : ci-dessous un billet de 1 dollar remonté de l’épave et parfaitement conservé. La légende du billet one silver dollar, le numéro de série, le portrait du président américain Lincoln sont encore tout à fait lisibles. Sans compter le fait que plus de 30 nationalités différentes avaient embarquées impliquant tout autant de devises différentes à bord.

Hormis ces effets personnels, le coffre-fort du commissaire de bord gît toujours au fond de l’océan. Il semble contenir non seulement des bijoux confiés par les riches passagers mais aussi des documents confidentiels.

 

Conclusion

Comme nous l’avons vu, l’usage de la monnaie est protéiforme allant de l’aspect votif, aux échanges économiques et aux biens personnels en passant par le jeu. Aujourd’hui encore nous utilisons encore l’expression  rendre la monnaie de sa pièce . Cette expression remonte à l’époque de la marine à voile où les soldats auraient eu l’habitude d’introduire une pièce à l’effigie du roi dans la poudre. Ainsi, lorsque le boulet frappait le navire ennemi, la « pièce » était rendue, et la vengeance accomplie.

A l’approche du XXIème siècle, dorénavant c’est une autre fonction de la monnaie qui vient s’ajouter : celle du jeu avec l’exploitation de nombreuses machines à sous à bord des paquebots de croisière. Le poids de ces casinos flottants devrait représenter 11 % du chiffre d’affaires des croisiéristes à bord, soit une recette de 670 millions d’euros en 2012 au niveau mondial. Cette tendance ne fait que s’amplifier et ouvre de nouvelles perspectives quant au rôle de la monnaie à bord d’un navire.

 

 

 

[1] Henri Bernard-Maugiron, Céline Bonnot-Diconne, Loic Caillat, Thomas Guiblain, Floriane Hélias, Marine Jaouen et Andrea Poletto, « La Jeanne-Élisabeth livre ses secrets : deux restaurations d’objets personnels issus d’une épave suédoise (XVIIIe siècle) », Patrimoines du Sud mis en ligne le 01 septembre 2017.

[2] Une visite sur l’épave du Titanic sera possible dès l’été 2019 à bord du sous-marin Titan (en fibre de carbone et en titane) pour un tarif de 92.000 euros.

[3] Exposition « Trésors du Titanic », cité des sciences à la Villette, Paris, 2003.

[4] Le prix du violon utilisé par Wallace Hartley lors du naufrage s’est envolé pour 1,7 million de dollars, une lettre écrite dans les dernières heures du drame est partie pour 166 000 dollars.