Le « Retour des Cendres », en ce 15 décembre 1840…

Par Stéphan Sombart

[Cet article est extrait du catalogue de la Vente sur Offres iNumis 8 du 20 mars 2009]

[Ci-contre Lot n° 1377]

Le 15 décembre 1840, les restes mortels de Napoléon Ier (appelés aussi cendres au sens figuré) sont inhumés aux Invalides en présence du Roi Louis-Philippe Ier, dans la Chapelle Saint Jérôme. Le tombeau, conçu par l’architecte Louis Tullius Joachim Visconti (1791-1853) ne sera achevé qu’en 1861. Le cercueil de l’Empereur y reposera jusqu’au 2 avril 1861, date à laquelle eut lieue une cérémonie intime, à laquelle assistèrent l’empereur Napoléon III, l’impératrice Eugénie, le Prince impérial et les Princes de la famille, le Gouvernement et les Grands officiers de la Couronne. Dans la crypte, s’élève alors un magnifique monument au milieu du dôme des Invalides. Dans une excavation circulaire, sous le dôme, est creusée une sorte de crypte ouverte et visible à tous. Au centre, est placé un grand sarcophage de porphyre rouge (en fait du quartzite aventuriné de Finlande, proche du porphyre) lui-même posé sur un socle de granit vert des Vosges. On a érigé de chaque côté de l’entrée de la crypte deux tombeaux : ceux des généraux Duroc (1772-1813) et Bertrand (1773-1844), qui furent successivement grand-maréchal du Palais de l’Empereur Napoléon. En mourant, Napoléon Ier avait manifesté le désir d’être inhumé sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple Français qu’il avait tant aimé. En 1840, voilà ses désirs réalisés.

Six années plus tôt, défait après Waterloo, Napoléon pense partir aux États-Unis. Fouché lui a indiqué que deux frégates l’attendront avec des sauf-conduits anglais à Rochefort. Le 3 juillet 1815, Napoléon y trouve bien les deux frégates, la Saale et la Méduse mais pas de sauf-conduits. Le 15 juillet, il gagne le Bellerophon, navire de guerre anglais après avoir demandé l’asile à l’Angleterre. Il a bon espoir d’être bien accueilli en Angleterre. Le 31 juillet, le Bellerophon arrive à Plymouth. Napoléon apprend alors avec désarroi qu’il doit être déporté à Sainte-Hélène, comme prisonnier des Alliés. Sa garde est confiée au gouvernement britannique qui choisit le lieu de sa détention. Il est transféré sur le Northumberland qui le conduit sur l’île de Sainte-Hélène, accompagné de trois officiers, Bertrand, Gourgaud et Las Cases, son valet de chambre Marchand, le médecin irlandais O’Meara et son personnel domestique.

Napoléon s’installe sur l’île de Sainte-Hélène à Longwood House. Les années passent, Napoléon lit, dicte ou reste prostré. En 1820, son état de santé s’aggrave. Début 1821, il est très affaibli et s’éteint le 5 mai 1821. Le gouverneur Hudson Lowe qui a pour ordre de ne pas laisser partir sa dépouille mortelle le fait enterrer sur l’île, dans ce que l’on nommera la vallée du Tombeau. En Europe, sa mort passe presque inaperçue, on l’a oublié. Toutefois, deux ans plus tard, en 1823, le Mémorial de Sainte-Hélène que publie Las Cases semble le ressusciter. Le succès de librairie est au rendez-vous. Las Cases brosse un portrait flatteur de Napoléon, loin de l’image de l’Ogre ou du despote de 1815. Il apparaît comme l’héritier de la Révolution française, le législateur, libérateur des peuples et unificateur. Martyre sur son île, accroché à son rocher, la légende noire fait place à sa légende dorée.

Louis-Philippe Ier, roi des Français se veut lui aussi l’héritier de la Révolution et de toutes les gloires de l’histoire de France. Sous l’influence de Thiers, qui imagine un coup politique – il prépare par ailleurs la publication de son histoire du Consulat et de l’Empire – Louis-Philippe décide de faire revenir la dépouille de Napoléon Ier en France. L’accord britannique est obtenu le 10 mai 1840. Le 12 mai 1840, pendant la discussion d’un projet de loi sur les mérites comparés des sucres de betterave et de canne, le ministre de l’Intérieur, Charles de Rémusat, monte à la tribune de la Chambre des députés et annonce que le Roi a ordonné à S.A.R. le prince de Joinville de se rendre à Sainte-Hélène recueillir les restes mortels de Napoléon.

Sous l’autorité du prince de Joinville, la Belle Poule quitte Toulon le 7 juillet 1840 avec Bertrand, Gourgaud et le fils de Las Cases notamment. Tranquillement, la frégate met 93 jours à atteindre Sainte-Hélène et l’expédition se transforme en voyage touristique. Le Prince de Joinville fit mouiller la belle Poule quatre jours à Cadix puis deux à Madère, quatre à Ténériffe et enfin à Bahia, ce furent quinze jours de bals et de fêtes. Le 8 octobre enfin, la frégate est à Jamestown.

Le jeudi 15 octobre au matin, tous sont devant la tombe nue et dépouillée de Napoléon. A neuf heures et demie, la dernière des trois dalles est retirée et le cercueil apparut. L’abbé Coquereau l’aspergea d’eau bénite, et récita le De profundis puis l’on procéda à l’ouverture de la bière, dans un silence complet. Le premier cercueil d’acajou dut être scié aux deux bouts pour en extraire le second cercueil, de plomb, qu’on plaça dans le cercueil d’ébène de forme antique qui avait été amené de France.

[ci-dessus, lot n° 1374]

L’arrivée du lieutenant Touchard, officier d’ordonnance du prince permit de procéder au dessoudage du cercueil de plomb. Lorsqu’on en eut ôté le couvercle, on vit apparaître le capiton de satin blanc qui recouvrait le corps comme un linceul. Au-dessous, l’Empereur apparut alors, habillé de son uniforme vert de colonel des chasseurs de la garde, il était parfaitement conservé. Son visage était serein et les mains étaient dans un état de conservation parfait. Le petit chapeau était placé en travers sur les cuisses. Tous les spectateurs étaient sous le choc et certains pleuraient. On remit rapidement en place le couvercle du cercueil de fer blanc puis celui-ci dans quatre autres cercueils. Enfin, l’ensemble fut placé dans un sixième cercueil en chêne. Cette masse de plus d’une tonne fut hissée par 43 artilleurs anglais sur un solide corbillard. Sous une pluie battante, tandis que la citadelle et la Belle Poule tiraient alternativement le canon, le cortège s’ébranla alors lentement.

Parvenu à Jamestown, le convoi défila entre deux haies de soldats de la garnison, portant leurs armes renversées. La Belle Poule mis son canot à la mer. Avec d’infinies précautions, le lourd cercueil fut déposé dans la chaloupe. Les navires français, qui arboraient jusque-là les signes du deuil, hissèrent aussitôt leurs couleurs et tous les navires présents tirèrent. Sur La Belle Poule, les tambours battaient et la musique faisait entendre des airs funèbres. À six heures et demie, le cercueil fut déposé dans une chapelle ardente qu’on avait dressée à l’arrière du bâtiment. Le 18 octobre, la Belle Poule appareilla pour la France. Le 30 novembre, elle arrive à Cherbourg. Le cercueil est transbordé sur le bateau à vapeur la Normandie qui gagne Le Havre puis Rouen le 10 décembre. Ensuite, un nouveau transbordement a lieu sur la Dorade qui gagne Courbevoie le 14 décembre 1840.

 

Ci-dessus : lot n° 1373, lot n° 1374, lot n°1375

 

Le 15 décembre, le corps est débarqué à Courbevoie. Par un froid vif, environ 10°, le cortège gagne l’Arc de Triomphe par l’avenue de Neuilly, les Champs-Élysées, la Concorde et enfin l’esplanade des Invalides. Le char funèbre, dessiné par Labrouste, pesait 13 tonnes. Il comprenait un mausolée sur un socle recouvert d’une draperie de velours violet et or, ornée d’abeilles. Le cercueil était soutenu par quatorze statues symbolisant les victoires de Napoléon. Enfin, sur le manteau impérial, reposaient la couronne et le sceptre. La foule des spectateurs depuis le pont de Neuilly jusqu’aux Invalides est très importante et chacun tente d’apercevoir, pieusement, le cercueil.


A 14 heures, c’est l’arrivée dans la cour d’honneur tandis que le canon tonne vingt et une fois. Le prince de Joinville, en baissant son épée jusqu’à terre, s’adresse au Roi son père et lui présente le corps de l’empereur Napoléon. Louis-Philippe le reçoit au nom de la France. Une cérémonie funèbre s’ensuivie au cours de laquelle les députés furent peu attentifs.

Du 16 jusqu’au 24 décembre, l’église des Invalides resta ouverte au public et des dizaines de milliers de visiteurs s’y pressèrent chaque jour. En 1854, l’empereur Napoléon III négocia avec le gouvernement britannique l’achat de Longwood House et de la vallée du Tombeau qui devinrent propriétés françaises en 1858, gérées depuis par le Ministère des affaires étrangères.

Ce 15 décembre 1840 se referma une page de l’histoire de France, connue comme le retour des cendres.

 

 Ci-contre et ci-dessus lots  n° 1379, n° 1380 et n° 1378