La Cadière d’Anne de Bretagne

Bretagne (Duché de), Anne, Cadière, s.d. (c.1498) Nantes
Or, 28,0 mm, 3,42 g, 7h
Dy.358A/358 , PA.1402/1401 , Jéz.430 Dhénin, BCFM, D2-R3
TTB+, RRR

 

 

A/ (hermine): ANNA: D: G: FRANCORV: REGIA: ET: BRITONVM: DVCISSA:  –  Anne couronnée, tenant le glaive et le sceptre, vêtue d’une robe semée de fleurs de lis et de mouchetures d’hermine, assise de face dans une chaire

R/ + SIT (hermine) NOMEN (hermine) DOMINI (hermine) BENEDICTVM (hermine) (atelier)  –  Croix aux bras terminés par une croisette fichée entre deux pétales de lis, avec (atelier) en cœur, et cantonnée de quatre mouchetures d’hermine couronnées

Estimation : 38000 EUR
Prix de départ : 25000 EUR

La cadière d’or d’Anne de Bretagne est l’une des plus rares et des plus intéressantes monnaies d’or françaises. Plusieurs types sont répertoriés dont le moins rare porte la date 1498 au droit. Dans le second groupe sans date, on note deux variétés principales : la première avec lettre N au droit en fin de légende et une très rare variété sans cette lettre au droit. Notre exemplaire appartient à cette dernière variété qui est donc la plus rare. Michel Dhénin a donné dans le Bulletin du Club Français de la Médaille une étude poussée des coins d’où il ressort que notre exemplaire est du coin de droit 2 (sur 3 connus) et de revers 3 (sur 6 connus) ; et variante de Duplessy avec avers du 358A et revers du 358. Seul l’exemplaire du Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale n° 862 (= coll. Fillon) est connu avec cette combinaison de coins. Semble donc le second exemplaire connu de cette variété. Provient d’une vente Spink-Taisei 3, Singapore, 11 february 1988, n° 555 ($12.500 réalisés). De grande qualité de surcroît pour cette monnaie phare de la numismatique française.

A la question « Quelle est la monnaie française la plus rare ? » une réponse vient immédiatement à l’esprit : l’écu d’or de Saint Louis ! Mais, à la réflexion, et aussitôt après, on trouverait sans doute la cadière d’or frappée par Anne de Bretagne, veuve du roi Charles VIII et duchesse de Bretagne en 1498.

Anne de Bretagne fut trois fois reine puisqu’elle épousa par procuration Maximilien, roi des Romains, en décembre 1490, puis Charles VIII, roi de France, le 6 décembre 1491 à Langeais et enfin Louis XII, roi de France, le 8 janvier 1499 à Nantes. Veuve de Charles VIII (le roi meurt le 8 avril 1498), elle affiche le reste de l’année 1498 sa volonté de défendre l’indépendance de la Bretagne. Elle rétablit la Chancellerie de Bretagne, replace le siège de la Chambre des comptes à Vannes et émet de nouvelles monnaies de cuivre et d’argent, ainsi qu’une prestigieuse monnaie d’or, la cadière. La reine est représentée assise sur un banc gothique, qui donne son nom à la monnaie ; elle est couronnée et vêtue d’un manteau brodé de lis et d’hermines, tenant le sceptre et l’épée. Le dessin de cette monnaie est de Jean Bourdichon (1457-1521), enlumineur de la cour du Roi.
La titulature du droit indique ANNA D G FRANCORV REGIA ET BRITONVM DVCISSA, « Anne, par la grâce de Dieu, reine de France et duchesse de Bretagne ». Le revers SIT NOMEN DOMINI BENEDICTVM, habituellement usité sur les monnaies d’argent de France, est tiré de la Bible, psaumes CXIII, verset 2 et signifie « Que le nom du Seigneur soit béni ».
L’atelier de frappe est Nantes, indiqué en fin de légende de revers par la lettre N. Dans une étude parue en 1984, Michel Dhénin, conservateur au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale recensait huit exemplaires de la cadière d’Anne de Bretagne, réparties en trois coins de droit et six coins de revers. Nous avons ainsi deux types de cadière :

  • Le premier type porte la date 1498 à l’exergue du droit. Sur ce type, la gravure est d’un style particulier avec un portrait encore idéalisé mais déjà un caractère Renaissance qui s’affirme. On notera aussi que c’est la première fois qu’une monnaie française porte une date ce qui là encore est une caractéristique de la Renaissance.
  • Le second type est sans millésime. On trouve deux variétés de légendes de droit, le premier avec FRANCORV et le second avec FRAN. Notre exemplaire, sans millésime mais avec FRANCORV semble particulièrement rare et n’est sans doute connu que par l’unique exemplaire conservé au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France sous le numéro 862, provenant de la collection Fillon au XIXe siècle. Nous aurions donc le second exemplaire connu pour cette variété ! Le style est plus médiéval que Renaissance, la reine porte les cheveux longs et sa couronne est plus large, la chaise ou cadière sur laquelle elle est assise est plus large et occupe plus d’espace dans le champ.

Mi-médiévale et mi-Renaissance avec une représentation de la reine qui se rapproche du portrait, la cadière est aussi une monnaie à moitié française et à moitié bretonne, ou si l’on emploie le langage des numismates, mi-royale et mi-féodale ! D’une grande rareté (peut-être quinze exemplaires connus, toutes variétés confondues), la majorité des exemplaires sont conservés en Musées. Les dernières ventes de cette monnaie exceptionnelle furent celles de la collection Claouet, 1993, qui a réalisé 175.000 F + frais (soient env.37.500 euros 2008) et un exemplaire daté dans une vente Vinchon 9 et 10 décembre 1997, n° 514 (110.000 F + frais soient env. 22.300 euros 2008).

C’est bien l’une des plus séduisantes monnaies françaises, témoin de la vie courte mais dense de cette princesse : mariée trois fois comme reine, devenue reine de Sicile et de Jérusalem par conquête, mère d’une future reine de France et décédée à 37 ans après avoir eu quatorze enfants.
Née en 1477 de François II, duc de Bretagne et de Marguerite de Foix, Anne est reconnue comme héritière par les États de Bretagne en 1486 et devient duchesse de Bretagne en 1488.
En 1488, en effet, la défaite des armées de François II à Saint-Aubin-du-Cormier qui conclut la guerre folle le contraint à accepter le traité du Verger dont une clause stipule que les filles de François II ne pourront se marier sans l’assentiment du roi de France. Son mariage par procuration à Maximilien (Ier), roi des Romains, en 1490 et futur empereur germanique viole ce traité du Verger et amène le roi de France Charles VIII à envahir la Bretagne. Anne, assiégée dans Rennes, doit se rendre. Elle se rend alors avec Charles VIII à Langeais où leurs noces sont célébrées rapidement. Anne devient reine de France, sacrée et couronnée à Saint-Denis en février 1492. Par contrat, il est convenu qu’Anne ne pourra épouser par la suite que l’héritier de Charles VIII. Lors de son mariage, elle aura six enfants, tous morts en bas âge. Par la conquête de Naples par Charles VIII, elle devient reine de Sicile et de Jérusalem.

Dès la mort de Charles VIII, le 8 avril 1498, elle reprend la tête de l’administration du duché et restaure notamment la chancellerie de Bretagne au profit du fidèle Philippe de Montauban, nomme lieutenant général de Bretagne son héritier le prince d’Orange, convoque les États de Bretagne, et émet un monnayage à son nom. Trois jours après la mort de son époux, le principe du mariage avec Louis XII est acquis. De leur union naîtront huit enfants dont deux survivront seulement : Renée de France qui épousera le duc de Modène en 1528 et Claude de France, duchesse de Bretagne à la mort de sa mère en 1514 et qui deviendra quatre mois après reine de France par son mariage avec François Ier.
Inhumée dans la basilique et nécropole royale de Saint-Denis, la sépulture d’Anne ne fut pas épargnée à la révolution. Toutefois, l’exceptionnel reliquaire en or émaillé contenant son cœur fut épargné de justesse. On peut toujours y lire les inscriptions suivantes : « En ce petit vaisseau, de fin or pur et monde, repose un plus grand cœur, Que oncque dame eut au monde, Anne fut le nom d’elle, En France deux fois reine, Duchesse des Bretons, Royale et Souveraine ».

 

Sources :

Michel Dhénin – La cadière d’or d’Anne de Bretagne – BCFM, tome 84, 2e trim. 1984.
Gildas Salaün – Cadière d’or d’Anne de Bretagne – (http://culture.loire-atlantique.fr/culture/c_5483/cadiere-d-or-danne-de-bretagne-de-1498)
Yannick Jézéquel – Les monnaies des comtes et ducs de Bretagne – Paris, Florange, 1998
Robert A. Levinson – The early dated coins of Europe 1234-1500 – 2007

 

ACTU :

Récemment, monsieur Gildas SALAÜN, responsable du médaillier du musée Dobrée de Nantes, a rédigé un article sur cette monnaie d’or d’exception : nous vous invitons à le lire par ici : https://www.monnaie-magazine.com/la-cadiere-danne-de-bretagne/